Il faut se sortir de la tête que nous serions en dehors de la nature. Nous sommes une espèce parmi d'autres
Être un chêne
Laurent Tillon
Genre
Essai
Résumé
Sous un roncier, en pleine forêt de Rambouillet, peu avant le feu et la mitraille de 1789, patiente un gland tout juste chu d’une itération de son « arbre-parent ». A notre échelle humaine, il attend, laisse passer les jours et les nuits, il ne grossit ni ne se transforme. A notre regard d’homme.
Et pourtant ! Rescapé des pattes d’Apodemus le mulot ou des assauts des femelles de charançon cherchant à percer son tégument, ce gland enclenche sa bombe intérieure pour débuter sa germination et entamer l’enracinement. Protégé un temps par son roncier, il lui faudra bientôt se dresser contre la pesanteur pour s’élever vers les nutriments lumineux de l’azur et trouver un moyen de faire son chemin parmi ce frère buissonnier, touffu et épineux, mais un peu trop envahissant désormais.
Citation
Il semblerait qu’une seule heure de promenade en forêt réduise naturellement notre stress pour plusieurs jours. Je me détends autant que possible. Je gagne encore en sérénité. Quel bonheur !1
1 Être un chêne, sous l’écorce de Quercus, Laurent Tillon, p. 299.
Laurent Tillon
Laurent Tillon est biologiste et ingénieur forestier à l'Office national des forêts (ONF). Spécialiste de l'écologie des chauves-souris, il travaille sur le fonctionnement des écosystèmes et les relations entre les espèces animales et les arbres, avec l'objectif d'intégrer les enjeux de biodiversité à la gestion forestière. Depuis 2020, il est conservateur bénévole pour le Conservatoire d'espaces naturels du Centre Val-de-Loire d'un site à chiroptères qu'il a découvert durant l'adolescence.
Il vit au cœur de la forêt de Rambouillet, qui lui a inspiré " Être un chêne" (Actes Sud, 2021)
L'oeil de votre chroniqueur.euse
L’histoire de ce gland est celle de Quercus, le « chêne-compagnon » de Laurent Tillon, un chêne-ami et ressourçant qui l’accompagne depuis des années et auprès duquel il trouve refuge pour se recentrer, sentir et respirer, un chêne personnifié dont l’auteur, biologiste et ingénieur forestier, a décidé de construire patiemment la biographie. En trente-deux chapitres, il retrace les deux cent quarante années de cette vieille branche, pourtant encore en pleine force de l’âge1, et en fait une odyssée végétale où toute nouvelle rencontre est à la fois menace immédiate et promesse de survivance. Le chêne accueille le danger, en subit les offensives, tente un parement et alerte ses compagnons racinaires et feuillus au moyen de signaux faibles mais efficaces dans le temps, sortes de molécules atmosphériques qui forment « brouhaha chimique ». Les ennemis-amis sont multiples et ont cent visages : Neuroterus la guêpe, Pinus le pin sylvestre, Dryocopus le pic noir, Myotis la murine, Lothar la tempête de 1999 … Or, en bon diplomate, Quercus résiste, fait filer sa sève vers les hauteurs, prépare une nouvelle glandée, souffre en silence d’une branche-maîtresse malade et, surtout, ordonne sa longue vie avec ce qui se passe alentour. Il comprend et ça dialogue entre espèces.
Roman-essai efficace par les informations qu’il recèle2 et qui sont offertes dans la limpidité d’une langue précise et poétique, le texte se fait radical par son pouvoir soudain et inattendu : il touche le lecteur. Quercus est l’ami dont nous parle Laurent Tillon, un ami qu’il connaît bien, qui semble posséder ses propres atermoiements, qui conscientise presque le passage du temps. Même si l’auteur nous met en garde à plusieurs reprises : pas d’anthropomorphisme outrancier ! Quercus reste un chêne, il fait partie d’un écosystème qu’il contribue à sa mesure à confectionner, il sent passer les variations des saisons et de la crise environnementale, il laisse à Homo l’homme le soin de s’enliser dans ses bêtises.
Au-delà de la faculté du texte à nous enseigner le fonctionnement du biotope forestier, ce livre merveilleux nous questionne sur notre propre rapport au monde, sur nos liens sociaux, sur la place que nous voulons trouver pour nous sur cette terre. Quercus le chêne est un exemple de bonté à suivre : il est altruiste, diplomate, bienveillant et interdépendant. Il nous appelle à le rejoindre pour qu’il nous réconforte et nous apaise. Après la lecture de Être un chêne, sous l’écorce de Quercus, il ne faut pas lutter, il faut accepter de se laisser porter vers la forêt la plus proche pour éprouver la force invisible des arbres : « Il semblerait qu’une seule heure de promenade en forêt réduise naturellement notre stress pour plusieurs jours. Je me détends autant que possible. Je gagne encore en sérénité. Quel bonheur !3 ».
1 Le lecteur apprendra qu’un chêne peut vivre en moyenne 600, 800 ans.
2 Il est drôle d’apprendre à quoi servent tous ces glands en abondance certaines années ; il est drôle d’apprendre pourquoi certaines chenilles sont « tordeuses », il est drôle d’apprendre que les chauves-souris changent 300 fois par an de logement …
3 Être un chêne, sous l’écorce de Quercus, Laurent Tillon, p. 299.