top of page
quartierlivres0406

Entretien avec David Foenkinos, écrivain « sensible » dont la vie a basculé à l’adolescence, jusqu’à changer son regard sur le monde.

Dernière mise à jour : 3 juin


L'auteur de La Délicatesse, dramaturge, réalisateur, a publié cette année La Vie Heureuse, un succès en librairie.



"La vie heureuse, c’est être libéré du jugement des autres"

David Foenkinos, vous avez publié dernièrement La Vie Heureuse, roman qui caracolait en tête des ventes en ce début d’année 2024 (en numéro deux). Vous y évoquez la mise en scène à la mode coréenne de sa propre mort pour reprendre goût à la vie. Cette quête du bonheur, cette pulsion de vie, ce sont des thèmes que l’on retrouve dans tous vos livres d’une manière ou d’une autre. Pourquoi ?

Au sujet de ce rituel, j’ai vu des documentaires, j’ai lu des forums coréens. Les images sont très impressionnantes et je ne voulais surtout pas que mon livre soit vécu comme un moment anxiogène. Au départ, cette mise en scène en Corée du Sud est utilisée pour soigner un mal-être. Le taux de suicide y est assez élevé et il s’agit d’une thérapie de choc que j’ai trouvée très belle. La personne est dans son cercueil, elle a rédigé une lettre d’adieu, c’est le silence autour d’elle. J’ai moi-même vécu une expérience de mort quand j’étais plus jeune, dont je parlais peu avant. Je l’ai évoquée en interview plusieurs fois ces dernières années car elle fait partie de moi, elle m’a propulsé vers une nouvelle énergie, une pulsion de vie oui, un rapport différent aux autres.

 

J’ai senti quelque chose en moi qui a été déverrouillé avec cette expérience de mort, à l’âge de 16 ans. Je suis resté pendant des mois à l’hôpital et j’ai lu. Lire m’a sauvé"

Cette expérience de mort vous a entraîné vers une boulimie de la vie, dites-vous, et vers la volonté de chercher le beau en toutes choses. Qu’est ce qui est le plus beau à vos yeux ?

C’est la sensibilité. J’ai senti quelque chose en moi qui a été déverrouillé avec cette expérience de mort, à l’âge de 16 ans. Je suis resté pendant des mois à l’hôpital et j’ai lu. Lire m’a sauvé. Et alors que je lisais, bizarrement mon regard a changé. J’ai commencé à souligner des phrases. Avant j’étais complètement hermétique à l’écriture et à la poésie. Je n’étais pas issu d’un milieu culturel et je n’étais peut-être pas formé à ça. Ce rapport à la littérature, ensuite, ne m’a plus jamais quitté et ça s’est étendu à la musique, à la peinture, aux musées. J’avais changé de point de vue. J’étais devenu sensible à la beauté. Je me suis mis à écrire des lettres, des nouvelles, j’ai développé une imagination. J’ai écrit La Délicatesse très rapidement et ça a toujours été très étrange pour moi. Je suis content d’avoir touché beaucoup de gens avec ce livre. Et en même temps je me sens étranger à toute l’ampleur que ça a pris. Quand tu vends des millions de livres ça devient très bizarre tout d’un coup. Tu te demandes ce qui t’arrive, pourquoi ça arrive.

 

Vous avez vécu ça comme un cadeau ?

Un peu, oui. Je ne veux pas prétendre que mon travail est extraordinaire. Je comprends tout à fait qu’on puisse ne pas aimer mes livres. Ce que je veux dire, c’est que j’ai un double rapport aux choses. Je me rends bien compte dans les salons par exemple, que les files d’attente sont importantes quand je dédicace mes bouquins. Et en même temps, dès que je sors, je ne me sens plus du tout connecté à ça. Je suis tout le temps avec mes enfants, je fais les courses, le ménage. Je me sens parfois un peu comme un témoin de ce qui m’arrive. Mon obsession ce sont les projets d’avenir, pas le passé, pas ce que j’ai fait.

 

Vous avez écrit une vingtaine d’ouvrages, votre carrière a réellement décollé avec La Délicatesse en 2009, et puis vous avez obtenu le prix Renaudot pour Charlotte en 2014. Vous êtes un écrivain très apprécié des Français (et traduit également). Quels écrivains français appréciez-vous parmi vos contemporains ?

Je lis beaucoup, j’ai beaucoup d’amis dans le milieu littéraire et j’apprécie mes contemporains, de Karine Tuil à Joël Dicker. Je participe souvent à des prix littéraires, j’ai été très heureux de présider le prix du Livre Inter en 2023, je suis dans le prix Flaubert, etc, j’adore ça. Et puis, en général, vers le mois de mai, je relis plutôt les auteurs que j’aime depuis toujours. Gary, Roth, Cohen, Kundera… J’ai le sentiment que les auteurs qui nous accompagnent toute notre vie sont ceux qu’on rencontre entre 15 et 20 ans. J’ai arrêté de me dire que je devais tout lire, tout connaître, je tourne autour des quelques auteurs qui me touchent vraiment, je me sens bien avec eux, comme en famille.

 

"Albert Cohen m’a fait comprendre la possibilité humoristique de la littérature, je me souviens d’avoir pleuré de rire en lisant Belle du Seigneur. C’est inoubliable. Ça a changé ma vie. Et ça m’a inspiré"

Est-ce qu’un roman a changé votre vie ?

A 16 ans, j’ai lu L’insoutenable légèreté de l’être et j’ai eu l’impression qu’il me parlait sur tous les plans, aux niveaux philosophique, émotionnel, dans le rapport aux femmes… Par la suite j’ai eu la chance extraordinaire de connaître Milan Kundera, c’est une des plus belles choses que j’ai pu vivre. Albert Cohen m’a fait comprendre la possibilité humoristique de la littérature, je me souviens d’avoir pleuré de rire en lisant Belle du Seigneur. C’est inoubliable. Ça a changé ma vie. Et ça m’a inspiré. Beaucoup d’auteurs ont été très importants.

 

Quel livre êtes-vous heureux d’avoir écrit ?

Charlotte, sans hésiter. C’est huit ans de recherches, de travail, animé par une admiration sans faille pour elle, en étant désespéré qu’on l’ai tant oubliée. Je me suis dit que les lecteurs de La Délicatesse n’allaient jamais me suivre pour ce projet. Et le succès du livre s’est révélé bien au-delà des mes attentes. J’ai réussi à convaincre Audrey Tautou de revenir sur scène pour incarner Charlotte récemment au théâtre. Et toute une partie de la jeunesse s’est emparée de ce livre… ça me trouble, c’est bouleversant.

 

Malgré les prix, malgré l’affection des lecteurs, la critique est parfois très dure avec vous. Marianne a écrit : « C’est un écrivain si doué qu’on dirait du Kev Adams ». Qu’est-ce que vous pensez de ces mots ?

J’ai eu tous les prix pendant dix ans, j’avais une presse extraordinaire. La Délicatesse était le seul livre de la rentrée 2009 à se retrouver sur toutes les listes des prix littéraires. La critique était unanime. Et puis j’ai vendu des millions de livres, et là, la critique s’est un peu déchaînée. C’est normal d’être critiqué et jugé. Ça ne me pose pas de problème. Je suis un auteur très grand public, mais j’ai eu le prix Renaudot, je fais des émissions littéraires, des films qui marchent. Je ne venais de rien, j’ai eu énormément de succès. Et l’animosité vient parfois avec. Tout ce que j’attends, c’est l’honnêteté intellectuelle de ceux qui formulent ces critiques. Quand c’est le cas, ça ne me gêne pas. Par ailleurs, c’est extraordinaire d’être respecté par une grande partie de la presse littéraire, et d’avoir autant de lecteurs. Le succès, l’échec, tout peut être problématique. La vie heureuse, c’est être libéré du jugement des autres.

 

On lit au gré des articles que vous êtes loufoque et délicieux (Le Monde), fou et mou (votre éditeur), mystique, incontournable, gentil, un oreiller doux dans un monde en bois (Europe 1), passionné, musical. Vous vous disiez vous-même instable, fatigué des autres. Comment vous décririez-vous aujourd’hui, David Foenkinos ?

C’est difficile. Il y a la part professionnelle, je m’y sens très épanoui. La vie personnelle est parfois compliquée. Mais je me sens assez apaisé, je me libère de beaucoup de choses. Je vais avoir 50 ans, et je ressens une urgence de vivre en appréciant vraiment les années qui s’annoncent.

 

Quel est votre rapport à la langue française ?

C’est au cœur de ma vie. Quand je me déplace à l’étranger, c’est très important pour moi de me dire que je représente la littérature française, la langue française.

 

Votre mot préféré ?

J’aime le mot « peut-être ». Le visuel est très important pour moi. J’aime le trait d’union de ce mot, l’indivision, les deux rives, les deux possibilités. Il y a quelque chose de l’univers du possible. Ce mot représente exactement ce qu’il décrit, visuellement. La possibilité c’est ma passion. J’ai d’ailleurs écrit Le potentiel érotique de ma femme ! Le potentiel, c’est mon truc.

 

Quels sont vos projets, on peut en parler ?

Ah bah c’est marrant, je viens de me remettre à écrire. J’aime beaucoup l’astrologie, la numérologie. Il n’est pas exclu qu’il y ait un lien. Je vais essayer de sérieusement avancer cet été. Je travaille aussi avec mon meilleur ami, Florian Zeller, réalisateur qui vit aux États-Unis et qui a eu deux Oscars, sur un projet de série. On verra ce qui en sort. J’ai travaillé sur beaucoup de projets qui ne se sont jamais faits. Mais j’ai la chance incroyable d’être très libre, de ne pas avoir de comptes à rendre. Je n’ai plus de pression, d’angoisse, j’ai une forme de lâcher-prise assez plaisante. Je m’en rends compte…

 

Vous êtes partout à la radio, à la télé, dans la presse écrite. Quelle question ne vous a-t-on encore jamais posée ?

(Longue hésitation) Je sèche totalement…. Que ne m’a-t-on jamais demandé ? Envisagez-vous une carrière de joueur de paddel ? Voilà, je vais m’y mettre tiens, je change de carrière, un scoop pour vous !


Entretien par Mélanie LESOIF.


RETROUVER L'ENSEMBLE DE NOS ENTRETIENS DANS NOTRE RUBRIQUE "PAROLE D'AUTEUR.E.S




31 vues0 commentaire

Bình luận


bottom of page